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Chapitre 1 : Tome 3.

 

’L'ouverture d’un troisième tome est, contre toute attente, une gageure facile à réaliser. Si l'essentiel de l'autobiographie est de cueillir à froid l'ensemble des anecdotes, récits qui nous constituent, les réflexes pour les matérialiser nous poussent bien souvent vers l'économie de moyens. Fraîcheur d'esprit dans la conquête des pages blanches sans piolet ; feignantise absolue dans le désir de revivre soi-même les moments « refuges Â» que l'on a si souvent porté au sommet.

« Tout l'art du roman vise sans doute à nous tirer d'impatience, et à nous composer un plaisir d'attendre qui ne s'use point. Par cette précaution, un vrai roman est toujours trop court Â». Alain serait-il devenu un confesseur de dernière heure pour moi ? Puisque toute sa philosophie repose sur le fait de se savoir « esprit Â» et donc, responsable, redevable : suis-je devenu au bout de ce troisième Tome, l'obligé de mes souvenirs ?

En tout état de conscience, il n'est pas court ou long qui veut. Il est, et c'est déjà pas mal. Il devient au fur et à mesure des pages, cet espace de partage à la morphologie particulière.

Néanmoins, et pour coller à ce que j’avance par ailleurs, il y a un style prédéfini, une arme à laquelle aucun de nous ne pense avant de fixer son attention : la trame. Le hasard de l'à-propos conditionne l'invention des structures individuelles de pensées. Une confiance s'établit entre le lecteur et l'auteur. Un contrat tacite qui les lie, et qui appelle chacun de nous à vérifier, si les arguments présentés correspondent à l'engagement premier de celui qui les expose. Le lecteur veut se sentir porté. L’auteur veut le garder en haleine. Un appel à la confiance de ce qui a déjà été paru, et une envie sans défiance pour ce qui doit advenir, de ce personnage navigant entre des lignes plus ou moins claires. Le contrat de confiance : à l'image des politiques qui pensent posséder les votes de ceux qui n'en finissent pas d'espérer. Croire que derrière le rideau, l'homme cordial et dévoué saura répondre aux sollicitations du plus grand nombre. Toutes classes sociales confondues, mais à ne pas confondre. Toutes sortes d'électeurs qui représentent la République, mais restent tournés vers ce vÅ“u pieux européen. De prétendre qu'une urne suffit à modifier un réel sociétal trop pesant, suffit à balayer d'un revers de main toutes les prises de consciences du rôle et de l'importance du citoyen au quotidien. Comme en politique, l'auteur séduit sa cible. Car bien qu’apparaissant comme un oxymore nécessaire, le choix du contrat dénote une existence notable d'un doute à l'égard des propos tenus. Dans la vie civile, le contrat de mariage, sous ses airs de protection consentie des deux époux, n'est que le reflet d'une méfiance légale acceptée. En ce qui nous concerne ici, peut-on poser proprement la notion de « projet Â» sans éviter d'entrevoir la mise en demeure ? Le travail réalisé ici est-il si fondamental en la matière, qu'il faille pour autant signer un protocole de déception potentiel ? N'est-il pas ici le devoir de deux époux de se jurer fidélité tout en acceptant le possible écart ? L'enjeu des images fabriquées est une responsabilité du réalisateur, mais aussi du spectateur.

La nouvelle vague cinématographique des années 60 sans scrupules, a dessiné en son temps le travelling sur l'immeuble « d'à côté Â», le souci d'être au plus proche de l'acteur pour mieux le désacraliser. En finir avec la toute puissance du héros que les journaux à scandales balbutiants, montaient au pinacle pour une France en recherche de modèles. Avons-nous été trop souvent aveuglés par ces visages angéliques au point d'oublier une Marilyn Monroe à la limite du coma éthylique, dans un bureau de la maison blanche ? Une Nathalie Wood empressée de découvrir le succès qui lui était promis, fauchée en pleine gloire ? Que reste-t'il de ces traces que nous laissons auprès de nos stars ? Fidélisation de l'auditoire a supplanté la fidélité à une personnalité du cinéma. De cartes d'abonnements en coupons de réductions, avantages C.E et j'en passe ; comment penser le contrat, lorsque les archanges de l'éveil à l'imaginaire ne tiennent plus leur rang ?

Qu'importe ! Je tiendrai notre promesse. D'autant qu'en ce troisième tome, je prendrai énormément de distance avec cette image qui me colle. Qui m'observe et que tout un chacun voudrait qu'elle fut vraie. En soi, il ne préexiste aucun contradicteur entre le narrateur et le lecteur. L'auteur ne peut se fâcher avec son héros, de peur que le message soit faussé. Surtout que le lecteur est aussi à lui seul, l'unique vitrine d'exposition sur la réalité de l’œuvre en tant que telle.

Quelles que soient les connexions de notre ordinateur céphalique, notre plaisir à fermer une aventure et à en démarrer sa suite, nous rassure. Et je ne vous parle pas de ceux, c'est-à-dire vous, qui lancent le défi de retrouver la même, voire la pire des débauches contées depuis lors. « Que va–t’il encore chercher pour nous étonner ? Nous déconcerter ? Â» (Permettez-moi d'envisager « l'infini Â», en ce qui concerne les possibles interprétations).

Si vous êtes parvenu jusqu’ici, rétournez-vous et regardez le chemin parcouru : le vécu réside dans cette nappe profonde qui effleure chacun de nous. La matière brute est toute puissante puisqu'elle n'est pas encore façonnée par l'homme. Et il revient à ce même « homme Â» de lui trouver un temps d'existence, puis un endroit pour mourir. En ce qui me concerne, je me trouve en ce point au stade terminal : le bilan est parachevé par ces lignes. Il justifiera le laïus en fin de dernier tome, mais voilà ! Pour cette entrée en matière revue et corrigée, je voudrais m’attarder sur cette journée. Ou plutôt sur cette soirée. L'an 1 de ma conception. De ce retour à l'ordre qui modifie mes paramètres temporels et qui m'invite à les enchevêtrer de la plus pure intention qui soit.

 

Mon camarade de l'Alliance Française était venu ce soir-là, boire un petit verre dans mon modeste logis. Après avoir abusé d'une caisse de gueuze lambic payée à prix d'or, un sommeil terrassant l'avait envahi. Grand bien lui fasse ! Je ne suis plus dans l’univers qui m’entoure. Il est minuit et comme vous tous, je cherche l’idée. La grande illumination sur un concept non éculé maintes fois, par des pseudos scribouillards. Je ne les nomme pas. Et comme nous aspirons tous à plus de clairvoyance en la chose, il n'est pas sûr que de les nommer, il en ressurgisse un quelconque intérêt. Qu'importe !

Je me mets en quête d’un geste culturellement simple, mais suffisamment marquant pour sortir d’une ère. D’une thèse. D’un voyage à l'étranger modifiant mes repères et mes sens. Comment élaborer l’œuvre d’une vie ? Comment élaborer une œuvre ? Comment se raconter sans se la raconter ?

Il faut recevoir tout d’abord un signal d’alarme : un besoin irrépressible de communier avec ma patrie d’origine. Je suis en 2003. Plus précisément. Mes derniers élèves de la journée m’ont fait dire en plein cours, « Vous n’êtes pas Daryll Zanuck et pourtant, avec vous, j’ai l’impression de vivre mon jour le plus long ! Â». Ils n’ont pas saisi la subtilité du moment ! Ok ! Je n’étais pas grossier, mais juste réaliste. Toutes les minutes ont compté dans cette suite de moments datés, de minutes passées à leur faire entendre la douce mélopée du français fringuant.

Il me manquait le geste patriotique dans la langue de Voltaire. Le roman. L’expression qui se passe de commentaire, mais se prête à lire.

Le blues du voyageur qui a posé ses valises, mais dont le cÅ“ur et la dévotion est resté au point de départ. Dans l’enceinte de l’aéroport parisien. « J'aurais voulu être un artiste! Â», c'est raté! On verra dans une prochaine vie!

Quelques jeux absurdes se succédaient sur quelques chaînes de télévision. Le fond de commerce baigne dans la stupidité montrée. La ridiculisation de l’autre pour faire oublier son propre ridicule ? Enfin, après quelques hommes sandwichs s’époumonant sur un toboggan savonné, je zappe sur une émission littéraire « Ã  la Coréenne Â». Un présentateur, des invités autour d’une table lumineuse. Serge July de « Libération Â» avait trouvé son chroniqueur à la mode bridée. Il présente quelques ouvrages, dont les caractéristiques s’apparentent à des récits de vies. Là encore, quelques spécificités très locales : les quatre invités sont de dos au journaliste.

Ils ne peuvent soutenir sa vue. Personne ne se parle. Ils sont assis les uns en nuque des autres. Chacun témoignant sur l’expérience qui l’a amené probablement, à écrire les quelques lignes commercialisables reliées. Le présentateur rit en mélangeant les bouquins et apparemment, il joue à celui qui reconnaîtra « qui a dit quoi ? Â».

Ce n’est pas un jeu, c’est une sorte de modestie, agrémentée d’un brin de défi personnel. Une des meilleures façons semble-t-il, de déjouer les faux écrivains qui, sous prétexte d’une charge suffisante dans leur secteur d’activité (prenons l’exemple de biographies de sportifs), s’attachent les services de « nègres Â», dans le but de convertir en culture, la somme des efforts libérée sur un terrain gazonné.

Puis, vint le moment où, chacun à leurs tours, ils témoignent, face caméra, de l’improbable enseignement et des valeurs transmises par l’écrit (s’ils en recèlent, bien évidemment).

Enfin, le dernier à prendre la parole semble circonspect. Il ne répond à aucunes questions. Stupeur sur le plateau ! La retenue légendaire est agressée dans son fondement. Le présentateur désire l’entendre sur le champ ! Il lui jette le livre devant son verre d’eau à moitié vide, ce qui manque d’ailleurs de le mouiller entièrement. Il prend son « bébé Â» dans les bras. Le tend à la caméra. Mon pote de lycée international fini de cuver sa bière et me fait la traduction. Il n’était pas très emballé par ce travail constant, mais bon !

 

« (Traduit de l’anglais), Non, ce mec, il vend son bouquin. Celui-ci traite des différentes façons de concevoir la philosophie de vie à travers une cinquantaine d’auteurs asiatiques. Ça va, t’es renseigné ? Je peux continuer à dormir ?

 

Dors poto !, je te réveille si j’ai d’autres questions Â».

Et là, le déclic ! Je revis toute mon existence défiler sur le dessus d’un lit trop sec. Ou sur les dessous d'une femme trop molle ? A vous de juger, comme le dit si bien Arlette Chabot.

Sous l’emprise d’une envie incontrôlable, je vois en une fraction de seconde, mes dernières rencontres en sol Français. Je remonte le fil de l’histoire. Mon passé, mes aides, mes ennemis, et toutes sortes de mésaventures vécues. Le seul problème en fut la forme : roman ? la somme des personnages entrants, puis sortants me donnait le tournis. L'Essai ? Il faut une problématique et un but à atteindre. Nouvelle ? Trop riches et trop épars ces souvenirs. Je ne savais comment définir cette taxinomie dont seuls quelques auteurs, avaient risqué de s'y perdre. Il me faut un lien qui garderait près du cÅ“ur, la terre de ma croissance, les amis de fortune et fortunés, les malentendus amoureux, le glauque parmi le gore. Eurêka ! L'abécédaire ! Mais c'est bien sûr ! Une structure, des règles, une vision tronquée, mais qui m'appartiendrait de toute façon.

Quelques remaniements avaient pris place dans mon esprit. Une table, deux chaises, l'humeur introspective au service de l'ancien et du moderne.

 

Lorsque les mots d'aujourd'hui caressent le papier, mon univers apparaît. Lorsque l’emprise nostalgique étend son linceul acéré, je recroise ces gens délaissés sur le bord du chemin. Les plaidoyers intimes peuvent être aussi, de bons présages dorés. La portion congrue d'un éternel qui sera « reconquête Â» pour moi, un carnet de route pour celui qui s'y attardera.

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