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  1. Le Collège des Mille peurs.

 

Ouvrage à paraitre Mi-2016. (Extrait).

 

-- Ok je prends

 

-- T'es sûr? Tu le prends? Moi je préfère dormir en haut. Déconne-pas ! T'as déjà pris ma table pour tes BD.

 

-- Aller, c'est bon. Je te le laisse. Toutes façons, ça ne va pas m'empêcher de te réveiller aux aurores. Oh Mec, qu'est-ce que tu fais là! Ne touche pas! C’est les photos de ma mère. J'veux pas que t'y touche.

 

Yannis accueille son compagnon de chambre comme les quatre années précédentes; Sans la moindre des plus petites objections, il regarde ce malheureux poser délicatement ses petites chemises colorées, unes à unes, sur l'une des étagères de la commode.

Le radiateur était froid depuis bientôt trois mois. La directrice était tellement radine que l'électricien avait dû faire des pièces sur mesure pour réparer les anciens convecteurs. Une chambre de quarante mètres carré pour deux c'est dar!

 

-- "Quand une chambre ne respecte pas les règles de mises en conformités, que les occupants se livrent à de curieux rituels comme le fait de se servir du radiateur comme un porte-manteaux, on coupe tout et vous vous chaufferez entre vous".

 

Genève n'est pas si loin à vol d'oiseaux. Mais la dernière pluie de grêle avait fait dire à Jacques, le jardinier en chef, que l'on rentre dans une période où il risque de pleuvoir des canards tellement il pleut.

 

Une petite ville ce lycée à flanc de colline. Trois blocs pour les résidences lycéennes. Un jardinier, un concierge, des profs que l'on loge sur place afin d'en utiliser tout le potentiel. A ma gauche une forêt où nous allions régulièrement taper la discute une fois les surveillants couchés. A ma droite, un complexe sportif pour les audacieux qui veulent fumer leur pilon sans être dérangés. Entre frères isolés, ça réchauffe parfois.

 

Profil bas, les cheveux en bataille, l'écharpe rouge laissant s'échapper les vapeurs d'une haleine stagnant depuis la matinée sans la moindre petite pastille menthol, Yannis regarde ce jeune homme s'affairant à optimiser la surface, l'espace vital qui lui est accordée;

 

---- « Qu'est-ce que ce gars va inventer cette année pour me pourrir la mienne ! Â» se dit Yannis, tout en haussant les épaules.

Assis devant la fenêtre, il contemple les mouvements bruts, sans le son de la foule qui s'agite en contrebas. De minuscules lilliputiens qui deviendront grands dans ces lieux. Qui reviendront aux grés des grandes vacances. Une population qui ne se voit pas croitre au fil des minutes.

 

--- Yann! Qu’est-ce tu mates? T'as flairé le bon coup ou quoi ?

 

--- Ben non t'es con (et il reprend son BlackBerry en main nerveusement)

 

--- Tu me gaves toi ! J't’ai dit que c'est « no life Â» ensemble ! 

 

--- C'est la meuf que t'as serré cet été?

 

 

---- Bo gosse je suis ! Mais elle me kiffe trop. Chez les meufs c'est toujours naze ! Ça s'accroche p'tain. Jl'ai clashée hier soir et elle gratte encore.

 

---- Yann, tu lâches l'affaire et on y va. Encore heureux qu’ils n’aient pas fermé les couloirs!

 

Gary était le trublion des couloirs. Son amour des cartes géographiques l'avait poussé à retapisser entièrement les murs de couvertures "Géo" et autres magazines de gares. Les murs gris de sa chambre humide au deuxième étage annonçaient en arrivant sur le palier, l'humeur studieuse des fantômes anciens. Ce fameux livre que nous retrouvons tous au fond d'un sac, enfoui sous une pile de linge, attendant d'être lu et relu comme un objet sacré.

On ouvrait sa porte d'entrée comme l'on ouvrait ce sac; les larmes aux yeux non pas, par l'exigence nostalgique, mais par l'air acide non renouvelé.

 

-- Chaque année c'est le même rituel. "Faut pas te formaliser!". Combien de fois ai-je eu à prononcer cette phrase. Repas pour les nouveaux et visite des lieux par les anciens. Je serai ton maitre d'hôtel gars. Tu viens?

 

Yannis devenait sobre. Dans le verbe et dans le ton. Il avait adopté ce lycée dans l'optique de pouvoir un jour, réaliser son vœu : revenir en esthète, en spécialiste de la communication visuelle.

Tout en déambulant dans les couloirs, Yannis proposait à son camarade les différents plans du projet de fin d'année.

 

J'ai un synopsis tout trouvé : les murs parlent. En fait, il faudrait que je me concentre sur "Qu'est-ce qu'évoque pour vous les murs de ce lycée". Tu vois le truc ? Deux salles où je filmerai simultanément les filles et les mecs qui voudront se faire interviewer. Des prises de trois à cinq minutes sur les plus touchés. Pour un rendu final qui ne dépassera pas les treize minutes règlementaires. Et toi ?

 

---- Quoi moi ?

 

---- Ben oui ! T'y a pensé ?

 

---- j'me donne du temps mais j'ai vraiment envie d'éponger les mauvaises expériences vécues.

Tu sais chuis pas un foudre de guerre dans le boulot. Je serais même un faignant consacré.

 

S'adresser sous la bienveillance du directeur du futur, le plaisir d'une petite griffe sur la première marche du hall d'entrée. Tous les meilleurs élèves qui ont jalonné cette bâtisse en savent quelque chose: Quand on a fait Spellding, on peut aller n'importe où, les gens vous remarquent. Du moins ce qu'en savent les professeurs en poste depuis près de trente ans.

 

Aout 1996. Nous étions loin de ces deux mois de bizutage. La directrice l'espérait en tant tailleur professionnel et voulait le voir intégrer les ateliers de M. Laffont avec la même détermination que l'ensemble de sa classe. La crise s'était muée en désir d'apprendre et c'est tant mieux.

Les deux garçons s’approchaient du lieu de la réception.

 

 

--- Allez, on te laisse au réfectoire. Je t'en dis pas plus. Il faut aussi savoir découvrir par soi-même ce que l'on ne peut apprendre au travers des ragots. Gary et moi nous allons revoir quelques têtes connues. Tu nous rejoins plus tard ok?

 

Yannis devenait philosophe. De l'expérience de la bibliothèque en feu l'année précédente, aux petits cadeaux anonymes d'une admiratrice transie, il était passé par sourire aux larmes, de guerre prenante à guerre lasse.

 

La mère moutard, l'être le plus ambigu qu'il lui eut été donné de connaitre à Spellding, l'avait pris sous son aile. Elle avait choisie par piété soudaine d'abandonner son mari pour se consacrer à la cuisine et au maintien de l'hygiène. Une histoire banale mais qui avait causé pas mal de désagréments et notamment, une longue période où le malheureux aux abois et totalement paumé sans sa femme était allé jusqu'à soudoyer le portier du lycée afin de le laisser entrer dans l'enceinte.

 

--- les jeunes c'est avant tout mes jeunes, disait-elle avec tant de passion, qu'il lui devenait presque insupportable de devoir trainer cette figure du passé.

 

Yannis se foutait royalement de cet encadrement. De ces profs qui ne pensent qu'à se retrouver pour critiquer chaque tête qui ne leur revienne pas ; une galerie de portrait déballée a coup de madeleines, de café dans le coin le plus chaud du bâtiment: la salle des profs.

 

--- Ah t'es là toi ! T'as pris soin du nouveau j'espère. Ce ne sont pas vos frasques que je déteste Yannis. Ce sont plutôt vos airs de leur donner de l'importance. J'ai gommé les conneries d'hier mais je n'oublie pas ce que vous m'avez promis. Je veux un changement radical!

 

Elle se donnait un genre de tous les instants. Sur le pied de guerre a la moindre alerte. Je la revoie courir à travers les couloirs, simplement, avec un manche de pioche emprunté au jardinier. Juste pour me voir trembler de peur. J'avais fait le compte . En trois ans, elle avait usé huit paires de chaussures (dont l'une s'était prise dans la balustre du premier étage), dix-neuf paires de socquettes qu'elle se faisait régulièrement livré par VPC dans sa boite aux lettres. En prime beaucoup de courage pour courser un sale gosse comme moi.

 

--- J'y vais, vous restez là! Et attendez bien mon signal pour démarrer le chant. Je ne voudrais pas que les quelques minutes d'applications que vous m'avez gracieusement octroyé la dernière fois partent en fumée. C'est toujours ça de pris. Soyez fier et que si l'un d'entre vous commettait la fausse note, ne vous en inquiétez pas.

 

Le chant de l'école. Plus nous montrions aux nouveaux arrivants la ferveur qui nous anime et nous guide en ces lieux, j'observais les mines tantôt ravies, médusées, les mains serrées des jeunes mamans comme passation de témoin.

 

--- Comme on pardonne à ceux qui nous connaissent peu..."

 

Chaque année, la même rengaine. La directrice adorait entamer son discours sur ces quelques mots sages et lourds d'engagement. Elle n'avait jamais viré aucun élève. Un bilan qu'elle s'épinglait en rosette sur le revers de sa veste.

 

--- Entrez dès à présent dans l'enceinte de l'établissement et souvenez-vous : Il y a mille chemins qui auraient pu vous conduire ici, mais il n'y en a qu'un seul pour en partir, j'ai nommé " la réussite".

 

Le sens de la formule en somme. Même le texte de notre sanctuaire était très explicite

 

Au gré des vents, je marcherai conscient

Du règne des libertés soufflent les arrivées

Des rencontres , des échanges, une compétence à partager

Loin de ces murs, transmettre sans démériter

Des efforts engagés sur le chemin escarpé

Vers le lac où notre navire partisan nous attend.

 

Les voix furent claires mais parmi les nombreuses têtes, il y en eut une qui se détachait; de longs cheveux longs, une allure fine, une jupe froissée terminant sa course sur des genoux dont les cicatrisations laissaient penser à de longues excursions en forêts.

La directrice fixait Fleur avec un aplomb, une défiance relevant très vraisemblablement une incompatibilité totale.

Elle s'approche délicatement de moi. Je venais de m'extirper de la foule encore en liesse.

 

---" Je t'avais dit de t'en tenir au premier couplet. N'est-ce pas malheureux ! Comment veux-tu que les gens puissent repérer les traits de notre établissement? Je n'étais pas là et hop, on se laisse aller.

Dès fois, je regrette même que ton père n'ait pu venir te reprendre ".

 

Elle avait piqué le point sensible, qu'importe. Au moment même où je m'apprêtais à faire la causette de courtoisie, elle m'arrache la jeune fille du bras.

 

"Et toi, je t'avais dit de rester au premier étage pour accueillir les nouveaux venus. Tu n’es qu'une sotte !";

Elle tourne les talons et s'en va saluer les dignitaires du canton

La directrice n'était pas avare de ces démonstrations publiques. Mais elle prenait pour insubordination tous les actes "déviants" que sa protégée lui rapportait. Les excuses, valait mieux pas. Pire ! Ca la mettait en pétard. Le mieux que l'on pouvait faire en ces circonstances, c'était d'opiner du sous-chef et promettre une meilleure attitude la prochaine fois.

 

Ce n'est pas demain la veille que je pourrais m'entretenir avec elle. Mais, j'avais déjà remarqué l'endroit où elle logerait cette année. En effet, les chambres étant rendue chaque fin d'année, nous n'avions aucune idée de l'endroit où nous pourrions nous appesantir. Peut-être qu'au détour d'une prochaine soirée je pourrais enfin lui parler.

 

De toute façon, c'était toujours très fugace : je traversais souvent le grand parc dans l'optique de la croiser. Un bouquin à la main, elle stationnait régulièrement sur le petit banc aux trous farcis. Une sorte de siège percé de toutes parts de trous, la forme d'une pièce de deux francs. Nous avions monté un jeu : A chaque fois que le rendez-vous avec une jeune fille n'était pas honoré, ou que l'ami de fortune n'était pas là, il se devait de caser une pièce de deux euros dans le gabarit du banc. Il ne serait d'ailleurs jamais venu à l'idée de l'un d'entre nous d'en prendre quelques-unes. Sorte de superstition peut-être.

Fleur, elle s'appelait Fleur. Au-delà d'une servitude consentie, elle regorgeait d'anecdote sur la botanique, les herbes folles, les recettes de grand-mères.

 

Elle était déjà remontée que la voix stridente de cette satanée vieille peau me rappelait à mes propres obligations.

 

---- " Yannis ? Venez très cher ! (en chuchotant vers le maire fraichement élu) "Vous allez voir c'est un de nos meilleurs éléments. Il a même obtenu une moyenne de 19,75 au dernier trimestre !".

 

 

Elle me faisait le coup à chaque fois. Pour peu que vous soyez adroit avec la langue, elle s'autorisait à vous exhiber comme une bête de foire. A plus tard mon moment de repos...

 

 

                                                                                                      La collation du soir

 

" Soirée camping".

Juste pour coller avec l'été qui s'achève. Des tréteaux à monter pour les anciens. Les plateaux à l'autre bout de la salle. Je m'épuise à saluer tous ces gens venus une fois l'an pour se rappeler qu'il existe un établissement de jeunes. Nous avions pour consigne de laisser les arrivants installer le buffet, manière pour l'équipe de direction de pouvoir dénicher les plus dégourdis, les plus adroits.

Son regard d'ailleurs se fixe sur un petit bonhomme grassouillet. Il gesticulait dans tous les sens afin de comprendre comment les tables se montent. Cela la faisait sourire; Il était bon pour l'annonce du menu; tout est codé ici : de la moindre bouchée au discours d'honneur de la directrice. Les nouveaux venus déjeunent avec les parents tandis que les anciens se retrouvent. C'est un instant magique. En quelques mois, c'est fou comme certains changent. Fleur n'était pas encore arrivée et je comptais sur elle pour s'occuper de la composition des tables.

Tom, mon voisin de chambre de l'année précédente se disputait copieusement avec  Gabriel sur les tâches à effectuer:

 

---- je ne maitrise pas forcément l'art du pliage mais je peux te dire que ta table c'est du grand n'importe quoi.

 

---- Arrête de te prendre pour ce que tu n'es pas! Je sais comment dresser une table ! Le pliage de serviette ça me connais ! Ma mère m'a tout appris.

 

Et il en fut ainsi pendant près d'une demi-heure encore. Je ne me contentais pour ma part de feuilleter sans être repéré, le livre d'or. Un recueil doré avec du beau papier. Il avait connu les quinze dernières années. Un passé regorgeant de témoignages touchants. Je m'arrête sur l'un d'eux assez atypique : "Vieux serpent, tes simagrées n'amusent que toi!". Très certainement l'ancien directeur tout aussi pesant sur les consciences. C'est un rôle où l'on n'est pas censé être apprécié de l'ensemble de la communauté mais quand même !

Il trônait là. Patty Kensit étant la première à avoir apposé un paraphe agréable "Grande salle, impression aérienne, je vais m'y plaire ".

 

Au moment de tourner à nouveau une page, la main froide reconnaissable d'entre toutes. Fleur.

 

---- Merci l'ami.

 

Tout à l'économie. Ses mots étaient comptés comme ses sourires.

 

---- Viens m’aider. Je n'aurais jamais le courage de tout faire. Mes fleurs, tu ne les as pas sorties de l'emballage. On ne peut pas compter sur toi. Elle avait raison en tous points. Je n'aimais pas intervenir dans son monde. Elle mariait les couleurs et les formes avec une telle délicatesse dans le geste, presque feignant l'étreinte des doigts complices sur les tiges.

 

---- Parfait. Jeunes gens, nouveaux et anciens, prenez place ! Heureux de vous accueillir en cette année 1995. Une longue et chaleureuse année à tous. Tom, veux-tu venir annoncer le menu s'il te plait?

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