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L'outrage. Ouvrage à paraitre Fin 2016(Extrait).

 

 

Il ne me restait que quelques minutes à tirer et les travaux au dehors commençaient à donner un aperçu de ce que serait l'année suivante. Le bureau de M. Verse était entre-ouvert.

Il venait de  répondre succinctement à sa présidente de femme. Il dévale les escaliers pour entrer dans son bureau.

Encore une soufflante pour les résultats désastreux du Bac. La remise orchestrée par un petit repas pour les jeunes. Maître-mot qui appelait toutes les responsabilités pédagogiques que j'avais accepté tantôt ; un an déjà.

 

« Si vous n'êtes pas avec nous, vous êtes contre nous! Contre les intérêts de l'école et j'affirme que nous avons tellement investi dans votre formation qu'il est aujourd'hui venu le temps des comptes... Â».

 

Un bloc de feuilles blanches posé devant elle. Un bureau flambant neuf. En chaîne massif. Des étagères murales remplies de documents faisant l'apologie, tours à tours, de grandes figures du Vatican. Les mémoires de personnes connues, locales voire nationales. Sa casquette posée sur la chaise à côté d'elle. Puis ses faits d'armes, ses bouquins écrits sur Benoîte Rancurel et autres figures en cours de béatification.

 

De 8h30 à 22h00, elle trônait derrière ce bureau. Toute sa vie, son existence vouée au culte de la jeunesse. Une confrérie éducative qui comptait près de cinq établissements dont elle s'était assurée d'en tenir les rennes en plaçant des pions qui lui devaient allégeance. Des êtres qui devaient absolument tout quitter lorsqu'il lui prenait l'envie de débattre d'une idée dont elle avait nourri la réalisation durant la nuit précédente. Un chef habillé en pantalons de Golf, chaussures kickers blanches et une veste, l'unique veste dont il m'eut été donné de contempler la maille lorsque son regard perçant cherchait à me faire avouer que mon seul ennemi furent mes réticences à travailler « selon sa méthode Â».

 

Je me retrouve là. Devant un ordinateur de la salle des formateurs. Vide. On venait de me signifier qu'elle était désireuse de me voir avant mon départ. Trois mois que j'attends cela. J'en étais arrivé à me demander si elle n'avait pas eu l'accès à mes mails car le nouveau job trouvé, la place en poche, ma future directrice ne m'avait pas contacté depuis deux semaines.

Avait-elle fait capoter l'affaire ? Je ne pouvais de toute façon plus continuer comme cela.

Lever cinq heures du matin, tous les jours, tenant compte de quelques samedi matin interminables où je devais demander la permission à M. Verse de prendre congé.

5H00 / 21h00. Cinquante minutes le matin, en espérant traverser verticalement le cœur de l'île de France, du sud au nord, sans les bouchons permanents. La porte d'Orléans qu'il fallait traverser à 6h00 dernier carat. Le périph', l'A15, et l'arrivée avant tout le monde. Chargé d'ouvrir l'établissement ou plutôt les deux établissements mitoyens d'une vingtaine de kilomètres. Je l'ai accepté pendant quatre ans. Quatre années où ma seule préoccupation du soir en arrivant dans un foyer au bord de la rupture physique, et compréhensible, était de faire comme si je vivais une vie normale. J'étais bien loin du compte.

 

Nul n'est censé ignorer la loi. Rien ne fut plus vrai que cette phrase lors de nos nombreux échanges, où je contenais mon envie de lui signifier que toute la stratégie d'encadrement des formateurs était à revoir.

 

Plus qu'une heure. Je vais devenir l’une des soixante-trois personnes à démissionner.

Aucun licenciement, elle s'y refusait catégoriquement. L'école, tu l'aimes ou tu la quittes, mais toujours dans l'intérêt des jeunes.

 

Elle me fait appeler par Jean. Lui aussi, c'est son dernier jour. Elle l'avait cuisiné pendant cette longue semaine, prétextant qu'il faisait le mauvais choix. Assistant de gestion, il avait été recruté en contrat Pro. BTS assistant management. Pour s'en sortir, il avait pleuré de nombreuses fois qu'il voulait un poste dans les ressources humaines. L'établissement ne lui serait qu'un frein de plus. Une entrave.

 

Plus que quarante-cinq minutes. Le 27 juillet. Mon anniversaire était tombé dans les oubliettes. Je contemple les étagères blanches. Quelques sujets d'examens  et comble du moment, je retrouve une des premières fiche de travail sur les sorties d'apprentis. Le rouge « A revoir ! Â». Les marques « impossible Â». Comme elle aimait montrer sa toute puissance. Personne ne lui avait jamais tenu tête. Du moins à ma connaissance. Beaucoup se sont targués d'avoir défendu leurs intérêts bec et ongles. Dixit cette pauvre Laurence : «  J'ai besoin de deux semaines complètes pour me reposer en été. Hors de question qu'elle me fasse revenir pour les jeunes de l’internat Boisé au bout de dix Â». Elle a tenu parole. Soit ! Elle avait eu ses quinze jours au prorata du contrat. Mais elle n'eut l'année suivante, que de sales aménagements de calendriers. Elle n'avait obtenu aucun week-end ; son repos hebdomadaire calculé sur la base d'après-midis de congés. Le dimanche soir, elle était sur l'internat Boisé. Le lundi après-midi, repos. Tout cela était légal. Si légal que la présidente ne se démontait jamais pour justifier ce qui s'apparentait à un sacerdoce plus qu'un travail.

 

Quelques minutes. Une vingtaine. Juste le temps de me souvenir de cette matinée de Juin 2009...

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